Un an

Presque un an que je n’ai rien consigné ici. Par manque de temps, mais surtout par paresse et par égoïsme. Sans aucun doute. J’ai oublié que certains atterrissent sur ce blog en cherchant des informations, des retours d’expérience détaillés, des raisons de ne pas se laisser envahir par l’angoisse… tout comme je l’ai fait moi-même.  Il est temps de rectifier le tir et de raconter ce qui s’est passé pendant ces mois.

Mon récit s’arrêtait quelques jours avant de reprendre le travail, 10 jours après l’intervention. Je reprends donc à ce moment précis…

Le 28 septembre : je me rends à mon rendez-vous chez l’urologue. Il regarde la cicatrice, qui évolue très bien. Elle sera encore ferme pendant quelques mois, le temps que les fils se résorbent. Il me rappelle une fois de plus – et s’il n’y avait qu’un message à retenir en lisant tout ça, celui qu’il faudrait propager, marteler, encore et encore, ce serait celui-là – que j’ai très bien fait de réagir rapidement quand j’ai eu des doutes. Je n’ai plus de tumeur, rien au scanner, je n’ai donc plus de cancer. Plusieurs options s’offrent maintenant à moi. La première : on laisser couler. L’urologue m’explique que pour ce cancer les deux facteurs de « mauvais pronostic » (=faisant augmenter le risque de rechute) sont, d’un côté, une taille de la tumeur supérieure à 4,5 centimètres et, de l’autre, l’invasion du rete testis. A vrai dire je ne suis plus très sûr aujourd’hui du « 4,5 centimètres », mais ma tumeur ne faisait pas beaucoup plus de 2 centimètres donc je ne suis pas concerné par ce premier facteur. Quant au rete testis, un réseau de canaux dont j’ignorais l’existence, l’urologue m’explique que le classement de son invasion comme facteur de mauvais pronostic est sujet à débat dans la communauté scientifique. Le risque de récidive dans mon cas est donc plutôt faible et si je le souhaite je peux arrêter là les traitements et me contenter d’une surveillance régulière pendant quelques années. La seconde option est une courte chimiothérapie destinée à me nettoyer l’organisme. Si je n’ai pas de métastase, des cellules cancéreuses peuvent tout de même se balader dans mon corps et choisir de prochainement se fixer pour prospérer. Cette chimiothérapie les détruirait et serait une assurance supplémentaire pour que l’avenir reste dégagé.

L’urologue me conseille vivement de faire cette chimiothérapie, en me rappelant qu’elle serait légère relativement au traitement beaucoup costaud que j’aurais à suivre en cas de rechute. En effet, il ne s’agirait que du nettoyage d’éventuelles cellules isolées, et pas de lutter contre une tumeur ou des métastases.

Rendez-vous est pris avec un oncologue, pour qu’il me présente en détail le choix qui m’est offert.

Trois semaines plus tard, le 19 octobre, je me rends chez l’oncologue, accompagné par ma compagne et notre jeune fils. Il commence par une statistique : 87% des malades ayant connu la même intervention que moi et n’ayant pas de métastase sont déclarés guéris après 5 ans (pour rappel, techniquement, je suis en rémission, et la guérison est déclarée après 5 ans sans récidive), sans aucun traitement supplémentaire. Avec une chimiothérapie adjuvante, dont le but est uniquement d’éviter une rechute, ce taux monte à 95%. Dans mon cas il ne s’agirait que d’une injection unique. Arrive ensuite le sujet délicat des effets secondaires. Sur l’échelle des mots qui font peur, chimiothérapie et cancer se tirent incontestablement la bourre et il est difficile de déterminer lequel choque le plus. Dans l’esprit de tous, le malade sous traitement est chauve, affaibli et rachitique. Un mourant, voire déjà un fantôme. Dans mon cas, difficile de prévoir ce qui m’arriverait puisque les effets secondaires et la façon dont le traitement est supporté sont propres à chacun. Grande fatigue, vomissements, aphtes, peau sèche, diarrhée, constipation… à voir. Peut-être un, ou plusieurs de ces symptômes, avec des intensités variables, peut-être tous, peut-être aucun. Impossible à prédire, si ce n’est qu’ils pourraient durer quatre ou cinq jours après l’injection. Une batterie de médicaments me serait prescrite, pour chaque effet secondaire, et un mois d’arrêt de travail serait nécessaire pour récupérer. Concernant la chute des cheveux, symptôme classique et attendu dans cette situation, il n’y a rien à craindre a priori puisqu’elle est très rare avec ce type de chimio. Comme pour le cancer, il faut comprendre qu’il y a un nombre impressionnant de chimiothérapies différentes, impliquant des combinaisons de molécules aux effets secondaires très variables. Dans mon cas, la chute des cheveux n’est pas impossible, mais reste exceptionnelle.

Ma décision était déjà prise, et ces explications détaillées ne la remettent pas en question : je ferai cette chimiothérapie.

Nous sommes mercredi, et l’oncologue me propose de commencer vendredi, dans deux jours. C’est un trop peu rapide puisqu’un arrêt de travail d’un mois nécessite un minimum d’organisation, et ma copine et moi avons quelques obligations dans les jours qui viennent. Le spécialiste indique qu’il n’y a aucune urgence, même si évidemment on ne doit pas attendre deux ou trois mois. L’injection se fera finalement le lundi 7 novembre.

Les jours suivants, j’organise mon absence au travail, et l’annonce de cette chimiothérapie me rappelle étrangement celle de mon cancer, près de deux mois plus tôt. Un rituel similaire se met en place, avec l’explication détaillée du protocole et une insistance particulière sur la relative légèreté des effets secondaires, qui seront de toute façon maîtrisés par le biais de médicaments. Cet effort de pédagogie semble payant, même si les réactions me font comprendre que j’idéalise peut-être un peu trop ce qui va se passer, notamment au niveau de la fatigue. Pourtant je répète à chaque fois scrupuleusement ce que m’ont dit mon urologue et mon oncologue, mais l’image du chauve anorexique à bout de force évoqué plus haut reste l’unique ancrée dans les esprits. Un peu comme quand on cherche à transmettre son optimisme en annonçant que le cancer qui nous touche est celui qui se traite le mieux mais qu’on nous renvoie un silence gêné, nous rappelant maladroitement que le cancer, ça tue quand même dans la majorité des cas et que cet optimisme est mal venu.

Le lundi 7 novembre, je me présente au service d’injection. Dans la salle d’attente, quelques autres personnes, seules ou en couple. Il est assez étrange de se dire que nous sommes tous là pour quelque chose de grave. Pourtant les chances sont inégales. Certains viennent sans doute en sachant que ça ne servira pas à grand chose, mais les autres dans la pièce ne le savent pas. L’occasion pour moi de réaliser une nouvelle fois ma chance.

La mort est présente, sans dire son nom, et pèse discrètement sur l’atmosphère de cette salle d’attente. Sur des présentoirs, des livrets d’informations sur les traitement de différents cancers, mais également des catalogues pour des perruques ou des couvres-chefs. Des numéros d’associations, de lignes d’information ou de soutien sont affichés sur les murs. Les quelques heures que je passerai dans ce service, je verrai jamais quelqu’un de plus jeune que moi, et je me demande ce que j’aurais pensé si cela avait été le cas. C’est ce que pensent peut-être les gens autour.

Je patiente près d’une heure avant qu’une infirmière vienne me chercher. Je commence à avoir faim, car j’ai lu qu’il valait mieux arriver à jeun. Dans la salle d’injection je suis installé dans un siège inclinable. La jeune infirmière tente de mettre la perfusion en place. Il s’agit d’une injection unique donc on ne m’a pas posé de chambre implantable. Elle cherche une veine dans mon avant-bras plutôt que dans le creux du bras. Il sera plus pratique ensuite pour moi de me déplacer avec la tige où pendouilleront les poches d’injection. Elle galère à trouver l’endroit idéal, mais se décide enfin. C’est difficile, et au final le sang ne coule pas. Elle semble embêtée, et je le suis également. Plutôt que de me triturer, elle appelle une collègue plus expérimentée. Celle-ci reprend à zéro et tente de piquer à un autre endroit de mon avant-bras. Elle me dit que j’ai les veines très dures – quelle flatteuse – et elle doit forcer pour que l’aiguille parvienne à percer. C’est très douloureux, et je ne lui cache pas. Je sens l’aiguille progresser sous ma peau, et elle cesse juste avant que cela devienne insupportable. La souffrance s’estompe lentement. L’infirmière finalise mon installation, et indique qu’après avoir attendu quelques minutes, le temps d’être sûr que l’injection se fasse correctement, on m’installera sur un lit, dans une chambre. Elle m’informe enfin qu’il faudra 1h30 pour que tout s’écoule et qu’on me libère. Ensuite elle quitte la chambre pour vaquer à une autre tâche, mais je me sens également partir. Ma vue se trouble, je lutte pour ne pas tourner de l’œil. Heureusement je suis assis, et l’infirmière revient. Je lui signale que je suis en train de tomber dans les pommes et ça ne semble pas l’étonner. Malaise vagal, me répond-elle simplement. La tension, la pénible mise en place de l’injection, le fait de n’avoir presque rien mangé depuis la veille et d’être debout depuis très tôt ce matin : rien d’étonnant en effet. Elle incline mon siège, et rapidement je reprends mes esprits. Je demeure ainsi quelques longues minutes et l’infirmière vient régulièrement voir si je vais bien. Bientôt je serai libre de me déplacer. Une cuisine est même à disposition des malades. Sur Internet j’ai (évidemment) lu de nombreuses choses concernant le régime alimentaire à adopter pour vivre au mieux le traitement. Beaucoup de préconisation existent, précises, je demande donc à l’infirmière quelle est la meilleure marche à suivre. Étonnée, elle me répond que je peux manger de tout, si cela me fait envie… Bravo Internet.

On m’amène ensuite à un lit, dans une chambre, où je peux me reposer en attendant. Rapidement je m’y ennuie, donc je fais quelques aller-retour dans les couloirs histoire de faire passer le temps plus vite. Un monsieur âgé est installé sur un lit dans la même chambre que moi, et je suis un peu gêné car je ne sais pas trop comment engager la discussion. Vous, c’est un cancer de quoi ?… Poumon, au stade terminal ?… Moi c’était à un testicule, mais tout va bien maintenant. D’ailleurs je n’étais même pas obligé de suivre cette chimio ! C’est un peu risqué.

On me retire la perfusion deux heures après me l’avoir installée. C’était plus long que prévu, mais j’ai l’impression qu’il n’y a que deux infirmières pour s’occuper de tous les patients.

Avant de partir je passe par le secrétariat pour qu’on me donne mon arrêt de travail. Ce sera finalement 5 semaines et pas 4, car avant de reprendre je dois faire une prise de sang validée par l’oncologue.

Ma copine vient me récupérer en voiture, et je ne ressens rien de spécial. Tout va bien, mais le suspense est là. Y aura-t-il des effets secondaires ? Si oui, quand ? Avec quelle intensité ? Passerai-je la prochaine nuit à dormir ou au-dessus des toilettes ?

Je passe une nuit normale, mais en me réveillant le lendemain je me sens écrasé de fatigue et sans appétit. Je ne suis pas malade, mais quelque chose est différent. Les nuits suivantes je dors assez bien, mais en journée je n’ai pas d’énergie et je me repose en regardant des films ou des séries sur mon canapé. Cet état étrange dure environs trois jours. Au final je ne connais pas d’autres effets secondaires, à part cette fatigue et le manque d’appétit. Pas de vomissements ni de nausées, mais ce sont peut-être les effets bénéfiques des antinauséeux que je dois prendre les cinq jours suivant l’injection. Et je ne perds pas un seul cheveu !

Je peux sortir prendre l’air et me promener, mais je me fatigue beaucoup plus vite que d’habitude. Moi qui aime marcher, je ne vais pas très loin sans être rapidement épuisé. C’est gênant, mais rien de plus. Ça reste un bien faible coût pour augmenter ses chances. Le seul point négatif est mon manque de patience, la nuit, quand je suis réveillé par mon fils d’un an, mais heureusement ça ne durera pas.

Au quotidien, personne finalement ne peut se douter que je suis sous chimiothérapie. Du coup je me demande combien de personnes j’ai pu déjà croiser dans la même situation que moi sans que je l’aie jamais su.

Les cinq semaines passent, et je profite grandement de ce repos.

Le mardi 6 décembre j’effectue mon bilan sanguin. Les résultats sont excellents, et l’oncologue me le confirme quand je vais le revoir, le jeudi 8. Il m’autorise donc à reprendre le travail lundi, le 12. Nous évoquons le suivi à venir et il m’explique qu’il n’y a pas vraiment de standard. Tout dépend des cas, et dans le mien il me préconise un nouveau scanner dans deux mois, vers la mi-février, et une prise de sang.

A la mi-février, mon scanner est parfait, et à la mi-mars je retourne voir mon urologue pour faire le point.

Le rendez-vous est très détendu, et la complicité avec mon urologue – qui je le rappelle est né exactement le même jour que moi – est toujours appréciable car l’échange peut se dérouler naturellement et sans détour. Il m’informe que nous allons faire un scanner et une prise de sang tous les 6 mois, pendant 5 ans. C’est assez lourd, mais pas tant que ça quand on y réfléchit un peu… Une récidive prise en charge rapidement pourra être traitée efficacement. Nous allons alterner les interlocuteurs, et mon prochain bilan sera avec l’oncologue. Le suivant sera de nouveau avec lui, etc…

Voilà, nous sommes le 28 août 2017, et j’avais écrit il y a plusieurs mois déjà le brouillon de ce qui précède.  Comme je l’expliquais en introduction de ce billet, j’ai mis du temps à finaliser, mais beaucoup de choses ont évolué dans ma vie durant ces mois. Lors de ma chimiothérapie ma copine et moi avons commencé à visiter des maisons, pour un futur achat, et nous avons eu un coup de cœur. Je passe les détails car ce n’est pas le sujet, mais cet important projet fut très chronophage et évidemment pendant ce temps je n’ai pas pensé à la maladie. D’où peut-être ma flemme de terminer ce texte pour le publier. Cette fois c’est fait, et j’espère que, comme les précédents, il pourra apporter quelques informations à des visiteurs inquiets, tombés là suite à de frénétiques recherches sur Google dans le but se rassurer.

Demain j’appelle le labo pour prendre rendez-vous pour mon scanner de suivi. Il aura lieu mi-septembre, et j’enchaînerai avec un rendez-vous chez l’oncologue pour faire le point sur les résultats.

Je compte bien ne pas attendre un an pour relater la suite mais le prochain article ne devrait se limiter qu’à quelques phrases puisqu’il n’y aura pas grand chose à dire !

Dans quelques minutes nous seront le 29 août, et ça fera donc un an exactement que le diagnostic a été prononcé par mon urologue.

Aujourd’hui, tout va très bien !

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *